Sur la côte d’un beau pays,
Par delà les flots Pacifiques,
Deux hauts palmiers épanouis
Bercent leurs palmes magnifiques.
À leur ombre, tel qu’un Nabab
Qui, vers midi, rêve et repose,
Dort un grand tigre du Pendj-Ab,
Allongé sur le sable rose ;
Et, le long des fûts lumineux,
Comme au paradis des genèses,
Deux serpents enroulent leurs nœuds
Dans une spirale de braises.
Auprès, un golfe de satin,
Où le feuillage se reflète,
Baigne un vieux palais byzantin
De brique rouge et violette.
Puis, des cygnes noirs, par milliers,
L’aile ouverte au vent qui s’y joue,
Ourlent, au bas des escaliers,
L’eau diaphane avec leur proue.
L’horizon est immense et pur ;
À peine voit-on, aux cieux calmes,
Descendre et monter dans l’azur
La palpitation des palmes.
Mais voici qu’au couchant vermeil
L’oiseau Rok s’enlève, écarlate :
Dans son bec il tient le soleil,
Et des foudres dans chaque patte.
Sur le poitrail du vieil oiseau,
Qui fume, pétille et s’embrase,
L’astre coule et fait un ruisseau
Couleur d’or, d’ambre et de topaze.
Niagara resplendissant,
Ce fleuve s’écroule aux nuées,
Et rejaillit en y laissant
Des écumes d’éclairs trouées.
Soudain le géant Orion,
Ou quelque sagittaire antique,
Du côté du septentrion
Dresse sa stature athlétique.
Le Chasseur tend son arc de fer
Tout rouge au sortir de la forge,
Et, faisant un pas sur la mer,
Transperce le Rok à la gorge.
D’un coup d’aile l’oiseau sanglant
S’enfonce à travers l’étendue ;
Et le soleil tombe en brûlant,
Et brise sa masse éperdue.
Alors des volutes de feu
Dévorent d’immenses prairies,
S’élancent, et, du zénith bleu,
Pleuvent en flots de pierreries.
Sur la face du ciel mouvant
Gisent de flamboyants décombres ;
Un dernier jet exhale au vent
Des tourbillons de pourpre et d’ombres ;
Et, se dilatant par bonds lourds,
Muette, sinistre, profonde,
La nuit traîne son noirs velours
Sur la solitude du monde.