Tu te tairas, ô voix sinistre des vivants !
Blasphèmes furieux qui roulez par les vents,
Cris d’épouvante, cris de haine, cris de rage,
Effroyables clameurs de l’éternel naufrage,
Tourments, crimes, remords, sanglots désespérés,
Esprit et chair de l’homme, un jour vous vous tairez !
Tout se taira, dieux, rois, forçats et foules viles,
Le rauque grondement des bagnes et des villes,
Les bêtes des forêts, des monts et de la mer,
Ce qui vole et bondit et rampe en cet enfer.
Tout ce qui tremble et fuit, tout ce qui tue et mange
Depuis le ver de terre écrasé dans la fange
Jusqu’à la foudre errant dans l’épaisseur des nuits !
D’un seul coup la nature interrompra ses bruits,
Et ce ne sera point, sous les cieux magnifiques,
Le bonheur reconquis des paradis antiques,
Ni l’entretien d’Adam et d’Ève sur les fleurs,
Ni le divin sommeil après tant de douleurs ;
Ce sera quand le Globe et tout ce qui l’habite,
Bloc stérile arraché de son immense orbite,
Stupide, aveugle, plein d’un dernier hurlement,
Plus lourd, plus éperdu de moment en moment,
Contre quelque univers immobile en sa force
Défoncera sa vieille et misérable écorce,
Et, laissant ruisseler, par mille trous béants,
Sa flamme intérieure avec ses océans,
Ira fertiliser de ses restes immondes
Les sillons de l’espace où fermentent les mondes.