On croit comprendre l’aigle, alors que, dans la nue,
Il bat l’immensité de son aile charnue,
Alors qu’avec emphase on compare ses yeux
À des éclairs sortis du flanc sombre des cieux,
Alors que le soleil est son aire fidèle,
Et que l’espace bleu de la voûte éternelle
S’entr’ouvre en vaste arène, où, roi des airs profonds,
L’oiseau superbe plane, inondé de rayons.
On croit comprendre l’aigle !... Ô paroles infimes !
L’avons-nous donc suivi dans ses courses sublimes,
L’avons-nous contemplé, ce noble enfant de Dieu,
Quand, dilaiant d’orgueil ses prunelles de feu,
Il couvre de dédains impossibles à rendre
Les débiles esprits qui veulent le comprendre ?
Ô misère !... Et pourtant, un invincible élan
Nous fait chanter sa gloire ! — Ainsi, poète Jean,
Mon sublime rêveur, ainsi ta poésie.
Parmi les fleurs du ciel, rose de Dieu choisie,
Est sainte et belle, alors qu’au profond firmament,
Les Chérubins, émus d’un frais étonnement,
Sous tes hymnes d’amour ouvrent leurs triples ailes
Qui, l’une froissant l’autre, étincellent entre elles,
Et d’un éclat sans nom éblouissent les yeux,
Quand nos regards mortels s’élèvent vers les cieux.
Chaque monde, planète ou soleil, chaque étoile
Est un corps de parfums que nulle ombre ne voile,
Et ces parfums si doux embaument l’éther bleu,
Ces accords enivrants tombés des luths de feu
S’échappent en clartés, en pures harmonies,
Et jettent par les airs des saveurs infinies...,
Car, mélange divin, l’harmonie est saveur,
La lumière s’entend. Sur la blanche hauteur,
Un ange lève un doigt, et les enceintes bleues
Où les cygnes d’Eden traînent leurs belles queues,
Et les feuillages d’or, berceaux brûlants du ciel,
Où s’épanche l’amour des yeux d’Emmanuel,
Les soleils chevelus et les étoiles blanches
Qui mettent dans la nuit des rubis à nos branches,
Ces purs regards du soir dont les pauvres mortels
Contemplent à genoux les rayons immortels,
Sous l’épaisseur du doigt de l’Ange, tout s’efface,
Gomme un rêve oublié, comme un éclair qui passe.
Puis, monte de ta lèvre un plus sublime accord :
Le ciel étreint les monts, les flots mordent le bord,
Minuit roule son glas, et, sur son coursier pâle,
Ce spectre si hideux et terrible qui râle
À réveiller au bruit enfers, mondes et cieux,
La Mort, maigre fantôme, aux coups mystérieux,
Vampire décharné qui jamais ne fait grâce,
Qui jamais ne s’arrête et jamais ne se lasse,
Court à bride abattue et, par les sombres soirs,
Prend les peuples dormants dans ses bras nus et noirs.
Ô tempête, ô beauté, nature échevelée,
Océan, vieux lion, crinière soulevée,
Qui croises ton regard avec l’éclair des cieux,
Râles profonds des vents, sanglots mystérieux,
Ô vieux monde croulant dans la foudre sacrée,
Ô Mort !... vous êtes beaux, quand son âme enivrée,
Avec un cri sublime, et par la nue en feu,
Chevauche l’ouragan sous l’haleine de Dieu !
Mais vous, blancs Chérubins des voûtes immortelles,
Qui semez dans nos nuits les rubis de vos ailes,
Vous, parfums éthérés, vous, clartés, accords saints,
Voix des harpes de feu qui chantez, purs essaims,
Anges, parfums, accords, oh! vous êtes aux âmes
Ce que sont à nos cœurs les tendresses des femmes,
Oh ! vous êtes si purs, oh ! vous êtes si doux,
Oh ! vous êtes si frais que nous sommes jaloux
Aussi de vous aimer, et que, l’âme inquiète,
Comme oiseaux disputant à l’aigle sa conquête,
Nous envions saint Jean, le poète divin,
D’avoir connu les cieux que nous rêvons en vain.