Lorsque ton rude vers tout trempé d’amertume,
Comme une ardente proue en des vagues d’écume,
Stigmatise en passant notre siècle orgueilleux,
De l’énergique effort de son rythme anguleux,
Lorsque, même en chantant quelque doux rêve d’ange,
Par un sarcasme aigu tu fais jaillir sa fange,
Et que, forçat tremblant de ta verve de fer,
Lorsque tu peins sa vie, il reconnaît l’enfer,
Ô poète, j’ai peur, au cri de ta colère !
Mon cœur bat, agile d’inquiétude amère ;
J’ai peur, en le voyant dans nos égouts humains,
Aigle des pics glacés aux mares des chemins,
Passer avec dédain et fierté dans la boue,
Sans qu’une vile tache ait laissé, sur ta joue,
Sa honteuse souillure, oh ! j’ai peur que le mal
Ne tourne contre toi son regard infernal,
Et que, Christ deuxième au Golgotha sublime,
Les Juifs, te punissant d’avoir sondé l’abîme
De leurs iniquités, égoïstes et froids,
Sans merci ni pitié ne te mettent en croix !
Oui, j’ai peur de te voir, poète sarcastique,
Te livrer sans défense à la dent zoïlique,
Et, fort d’enthousiasme et de sévérité,
Aux serfs de l’opulent prêcher la liberté !
Ô rapsode, suspends, va, tes strophes rugueuses,
Vifs éclats de granit frappant des eaux boueuses ;
Suspends ta forte voix dont l’accent souverain
Sur nos tympans meurtris tombe à rimes d’airain !
Poète, c’est assez ! Hercule littéraire,
Ton œuvre du génie est la pierre angulaire.
Oui, ton jeune talent, éclair dans notre soir,
Reflète ses rayons sur l’avenir moins noir ;
Il nous montre de loin la limite sacrée,
Les cieux, où tend l’essor de ton âme enivrée ;
À sa voix, l’idéal, cet arc-en-ciel du cœur,
Nous verse avec amour ses parfums de bonheur,
Et chaque mot tombé de tes lèvres hardies,
Chaque note sortant de tes cordes raidies,
Proclament, d’ici-bas au céleste horizon,
Qu’on peut versifier sans rimes ni raison.