Charles Cros

1842-1888 / France

Réconciliation

J’ai fui par un soir monotone,
Pardonne-moi ! — Je te pardonne,
Mais ne me parle de personne.

– Il m’a trompée avec sa voix,
Il m’a menée au fond des bois ;
Mais aujourd’hui, je te revois.

– Ne parle de personne, chère !
Respirons la brise légère
Et l’oubli de toute chimère.

– Oui, l’oubli ! tu dis vrai. Le jour
Finit rose pour mon retour ;
Je te dois cette nuit d’amour.

– La nuit d’amour est toute prête ;
Nous avons du vin pour la fête
Et la folie est dans ma tête.

– Ta chambre est chaude comme avant
Et l’on entend le bruit du vent
Qui nous endormait en rêvant.

– Tu me parais encor plus belle ;
Plus fièrement ta chair rebelle
Gonfle ton corsage en dentelle.

– Tu deviens pâle, mon ami !
Viens dans le lit ; noyons parmi
Nos baisers ton coeur endormi.

– Mais j’ai perdu mon coeur en route ;
Mon sang est tombé goutte à goutte
Et ma chair triste s’est dissoute.

– Hélas ! à chaque vêtement
Que tu quittes, mon doux amant,
Je vois tes os gris seulement.

– Pouvais-je te laisser seulette
Au lit ? Voici la nuit complète.
– Oh ! Va-t’en loin de moi, squelette !

– C’est que, vois-tu, j’ai bien souffert,
J’étais comme un héros de fer.
Hors de tes bras c’était l’enfer.

– Va-t’en ! Oh ! tout mon corps frissonne !
Ne me parle plus de personne.
– Entends comme mon crâne sonne.

Tu l’as vidé par tes péchés ;
Mes os sont bien mal attachés,
Nous serons mieux étant couchés.

J’égrène toutes mes vertèbres
Et toi, blanche dans les ténèbres,
Tu meurs de mes baisers funèbres.

Tes regards furent imprudents ;
Tu meurs de mes baisers ardents
Sans lèvres autour de mes dents.

Te voilà morte, blanche et rose,
J’ai souffert : ma souffrance est close ;
Tout martyr enfin se repose…
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