Arthur Rimbaud

20 October 1854 – 10 November 1891 / Charleville, Ardennes

Ophelia

I

On the calm black water where the stars are sleeping
White Ophelia floats like a great lily ;
Floats very slowly, lying in her long veils…
- In the far-off woods you can hear them sound the mort.

For more than a thousand years sad Ophelia
Has passed, a white phantom, down the long black river.
For more than a thousand years her sweet madness
Has murmured its ballad to the evening breeze.

The wind kisses her breasts and unfolds in a wreath
Her great veils rising and falling with the waters ;
The shivering willows weep on her shoulder,
The rushes lean over her wide, dreaming brow.

The ruffled water-lilies are sighing around her ;
At times she rouses, in a slumbering alder,
Some nest from which escapes a small rustle of wings ;
- A mysterious anthem falls from the golden stars.

II

O pale Ophelia ! beautiful as snow !
Yes child, you died, carried off by a river !
- It was the winds descending from the great mountains of Norway
That spoke to you in low voices of better freedom.

It was a breath of wind, that, twisting your great hair,
Brought strange rumors to your dreaming mind ;
It was your heart listening to the song of Nature
In the groans of the tree and the sighs of the nights ;

It was the voice of mad seas, the great roar,
That shattered your child's heart, too human and too soft ;
It was a handsome pale knight, a poor madman
Who one April morning sate mute at your knees !

Heaven ! Love ! Freedom ! What a dream, oh poor crazed Girl !
You melted to him as snow does to a fire ;
Your great visions strangled your words
- And fearful Infinity terrified your blue eye !

III

- And the poet says that by starlight
You come seeking, in the night, the flowers that you picked
And that he has seen on the water, lying in her long veils
White Ophelia floating, like a great lily.
Ophélie
I
Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
- On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile:
- Un chant mystérieux tombe des astres d'or.

II
O pâle Ophélia! belle comme la neige!
Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!
- C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté;
C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits;
Que ton coeur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits;
C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux!
Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre Folle!
Tu te fondais à lui comme une neige au feu:
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible effara ton oeil bleu!

III
- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
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