Nature féconde en merveilles,
Nature, mère des humains,
Qui nous allaites, qui nous veilles,
Et qui nous berces de tes mains,
À mes pieds effeuille une rose,
— Égrène un épi mûr, — arrose
Sous la grappe ma lèvre en feu ;
Pour sanctifier mon délire,
D'un rayon couronne ma lyre,
Ô Soleil ! je vais chanter Dieu.
Chanter Dieu, profane poète !
Penche ton front sur le chemin ;
Que longtemps ta lyre muette
Fatigue ton cœur et ta main...
Je chanterai ! ma poésie
Est une fleur que j'ai choisie
Dans un Eden du ciel aimé ;
Elle a pu fleurir pour la terre,
Mais elle lève, solitaire,
Vers Dieu son calice embaumé.
Après une course lointaine,
Je vais m'asseoir sur le penchant
Du mont où brille la fontaine
Aux rayons du soleil couchant ;
Et mon âme prend sa volée
Dans les splendeurs de la vallée,
Abeille butinant son miel :
Elle s'arrête avec ivresse
Pour ouïr l'hymne d'allégresse
Que la Nature chante au Ciel.
Allez donc, âme vagabonde !
Respirez autour des buissons
Dans le sentier où l'herbe abonde,
Au bruit des naïves chansons,
Cueillez vos belles rêveries
Sur le bord touffu des prairies ;
Tandis que jase le grillon,
Bercez-vous dans la marjolaine
Auprès du cheval hors d'haleine
Qui hennit au bout du sillon.
Jeanne la brune, aux pieds du pâtre,
Au nouveau-né donne son sein,
Gamelle qui n'est pas d'albâtre,
Mais que Dieu lit grande à dessein ;
Bras nus et jambe découverte,
Margot lave sa jupe verte,
Le meunier l'embrasse en passant.
Là-bas, dans son insouciance,
L'écolier, cherchant la science,
Secoue un arbre jaunissant.
L'écolière, comme une abeille,
À chaque pas prend un détour
Pour recueillir dans sa corbeille
Ces bouquets si doux au retour !
Prends garde, ô ma pauvre écolière !
Que ta corbeille hospitalière
N'accueille ce serpent maudit
Qui surprit Eve, ta grand'mère,
Et lui vanta la pomme amère
Si bien, hélas ! qu'elle y mordit.
Voyez dans la villa rustique,
Un joyeux enfant à la main,
Ce vieillard au front prophétique
Qui bénit Dieu sur son chemin :
Il a, durant des jours prospères,
Labouré le champ de ses pères.
Du travail recueillant le fruit,
Il attend que la mort l'endorme
Près de l'église et du vieux orme,
Un soir, sous un beau ciel, sans bruit.
Plus loin, sous l'arbre de la rive,
Le front penché languissamment,
La pâle délaissée arrive
Pour rêver seule à son amant.
Son regard se perd dans l'espace,
Chaque flot agité qui passe
Conseille à son cœur d'espérer.
Dans le bocage une voix chante
La ballade grave et touchante
Qui la fait sourire et pleurer.
Près de l'étang où la colombe
Secoue une plume en passant,
Je vois un vêtement qui tombe
Comme un nuage éblouissant :
La belle duchesse est venue
Pour le bain. Elle serait nue
Sans sa mantille de cheveux ;
Elle descend dans l'herbe épaisse ;
Le rameau sur elle s'abaisse
Pour voiler ses seins amoureux.
Elle a détourné la broussaille
Qui retenait son pied d'argent ;
Elle glisse, l'onde tressaille
Et baise son beau corps nageant.
Si Phidias, le dieu du marbre,
Etait là caché sous un arbre !
J'entends du bruit : est-ce un amant ?
Descendra-t-il une nuée ?
Car la ceinture est dénouée,
Et l'Amour dit un air charmant.
Mais, comme Suzanne la chaste,
Elle trouve un voile dans l'eau,
Dont la face verte contraste
Avec son cou. Divin tableau !
Elle fuit avec l'hirondelle,
Qui va l'effleurant d'un coup d'aile ;
L'onde suit avec un frisson ;
L'amant attend sous la ramée,
Et l'Amour dit : « Ô bien-aimée !
En serai-je pour ma chanson ? »
Là-bas ces belles matineuses,
Fuyant le parc et ses grands murs,
Comme de blondes moissonneuses
M'apparaissent dans les blés mûrs.
Ô visions de ma jeunesse,
Faites que mon dîne renaisse
À ses rêves de dix-huit ans !
À la fourmi laissons les gerbes,
Ô cigales, les folles herbes
Sont notre moisson du printemps.
— Mais tu t'égares, ô mon âme !
Est-ce ainsi qu'il faut chanter Dieu ?
— J'ai chanté le sublime drame,
L'or des moissons sous le ciel bleu ;
Le poète effeuillant son rêve
Aux paradis des filles d'Eve ;
Le pitre dans sa liberté,
L'enfant qui joue avec son père,
L'amante dont le cœur espère...
Mon Dieu, ne t'ai-je pas chanté ?