Prends ma main, Voyageur, et montons sur la Tour. -
Regarde tout en bas, et regarde à l'entour.
Regarde jusqu'au bout de l'horizon, regarde
Du nord au sud. Partout où ton oeil se hasarde,
Qu'il s'attache avec feu, comme l'oeil du serpent
Qui pompe du regard ce qu'il suit en rampant,
Tourne sur le donjon qu'un parapet prolonge,
D'où la vue à loisir sur tous les points se plonge
Et règne, du zénith, sur un monde mouvant,
Comme l'éclair, l'oiseau, le nuage et le vent.
Que vois-tu dans la nuit, à nos pieds, dans l'espace,
Et partout où mon doigt tourne, passe et repasse ?
- ' Je vois un cercle noir, si large et si profond
' Que je n'en aperçois ni le bout ni le fond.
' Des collines, au loin, me semblent sa ceinture,
' Et, pourtant, je ne vois nulle part la nature,
' Mais partout la main d'homme et l'angle que sa main
' Impose à la matière en tout travail humain.
' Je vois ces angles noirs et luisants qui, dans l'ombre,
' L'un sur l'autre entassés, sans ordre ni sans nombre
' Coupent des murs blanchis pareils à des tombeaux.
' - Je vois fumer, brûler, éclater des flambeaux,
' Brillant sur cet abîme où l'air pénètre à peine,
' Comme des diamants incrustés dans l'ébène.
' - Un fleuve y dort sans bruit, replié dans son cours,
' Comme, dans un buisson, la couleuvre aux cent tours.
' Des ombres de palais, de dômes et d'aiguilles,
' De tours et de donjons, de clochers, de bastilles
' De châteaux forts, de kiosks et d'aigus minarets ;
' Des formes de remparts, de jardins, de forêts,
' De spirales, d'arceaux, de parcs, de colonnades,
' D'obélisques, de ponts, de portes et d'arcades,
' Tout fourmille et grandit, se cramponne en montant,
' Se courbe, se replie, ou se creuse ou s'étend.
' - Dans un brouillard de feu je crois voir ce grand rêve.
' La tour où nous voilà dans le cercle s'élève.
' En le traçant jadis, c'est ici, n'est-ce pas,
' Que Dieu même a posé le centre du compas ?
' Le vertige m'enivre, et sur mes yeux il pèse.
' Vois-je une Roue ardente, ou bien une Fournaise ? '